Jean-Jacques Dessalines : Son règne et sa politique économique

 

           


            Avant d’entrer en matière, il serait sage de faire une brève historicité sur la situation d’avant 1804, plus précisément de la période allant de 1789 à 1803. 1789, année de la révolution française qui a déclenché une crise sans précédent dans la métropole et par la suite dans la colonie de Saint Domingue. Socialement, en 1793, on assiste à  la libération des esclaves. Politiquement, les décrets et actions des commissaires civils ont précipité les événements à Saint Domingue, de plus, de graves troubles sont causés par l’invasion anglo-espagnole de 1792-1793. Avec la constitution de 1801, création d’un état indépendant associé à la métropole Française. Tous ces événements aboutissent à la création de l’Etat d’Haïti en passant par la Bataille de Vertières du 18 Novembre 1803.

            1er Janvier 1804, date de la signature de l’acte de l’indépendance. Il confirme non seulement une rupture totale avec la France mais aussi la détermination inébranlable de sauvegarder l’indépendance. Elle est d’autant plus significative de la consécration du pouvoir personnel de Dessalines (Général en Chef de l’Armée) seul détenteur des pouvoirs législatifs et exécutifs, gardien de la liberté et de l’indépendance. Parlons un peu de son règne et de sa politique économique.

            Le gouvernement de Jean-Jacques Dessalines du 1er Janvier 1804 au 17 Octobre 1806 (2ans 9mois 17jours) est divisé en 2 grandes parties : le Gouvernorat et l’Empire.

·        Gouvernorat (1er Janvier 1804 – 22 Septembre 1804)*. Le 1er Janvier 1804 Dessalines nommé Gouverneur  Général à vie avec le droit de désigner son successeur.

·        Empire (22Septembre1804 – 17 Octobre 1806)*. Avec son sacre le 8 Octobre 1804, il accède au titre d’Empereur d’Haïti sous le nom de Jacques 1er. Il établit un empire autoritaire et nationaliste et de conviction catholique quoique la liberté de religion est accordée (art. 50 de la constitution de 1805), la couronne est élective et non héréditaire (art 23, constitution 1805) et officialise le français comme langue officielle. En distribuant les meilleures terres confisquées aux colons, il crée ainsi une noblesse haïtienne. Il est apparemment le 1er dans sa constitution impériale de 1805 à avoir utilisé le terme « Noir » de manière idéologique, l’article 14 (déclaration préliminaire) stipulait : «… Les Haïtiens ne seront désormais connus sous la dénomination générique de noirs ». Sont « Noirs » tous ceux qui ont subi les mêmes calamités, tous ceux qui ont subi les mêmes atrocités et un jour se sont unis pour s’aimer, s’entraider et courir à la vengeance, se disputer les premiers coups et remporter la victoire sur un système qui les a broyés, massacrés, mutilés pendant des siècles et des siècles. Le contexte de l’indépendance exigeait un régime fort pouvant faire face à l’hostilité esclavagiste d’où sa politique de sureté intérieure.

 

            Cette politique consistait à la création d’une armée populaire et aussi à la fortification du territoire. L’un de ses premiers actes pour sauvegarder l’indépendance, fut l’élimination (massacre) des Français. Sur ce point il a reçu bon nombre de critiques. Mais laissez- moi vous poser cette question :  Un homme vivant 30 de ses 48 années d’existence, dans l’enfer de l’esclavage sous le joug de fer, jouets des passions des hommes, de leur injustice et des caprices du sort : victime mutilé de la cupidité des blancs français, après avoir engraissé de sa sueur ces sangsues insatiables avec une patience, une résignation sans exemple, comment cet homme qui n’a jamais goûté aux bienfaits du pardon, qui n’a jamais bénéficié de miséricorde pouvait à son tour pardonner et faire miséricorde ? Dessalines n’était pas Dieu mais un homme, un homme assez intelligent pour donner une réplique à ce que des hommes soi-disant civilisés ont perpétré pendant plus de deux siècles. Comme il l’a si bien dit : « Oui, nous avons rendu, à ces vrais cannibales(les français d’alors), guerre pour guerre, crimes pour crimes, outrages pour outrages. ». Oui il agissait en légitime défense : « Oui, j’ai sauvé mon pays, j’ai vengé l’Amérique.». (Proclamation relative aux massacres des français du 28 avril 1804). D’autres mesures ont été prises comme la construction des forts qui vise  la défense de l’indépendance contre les ambitions des puissances coloniales. La campagne de l’Est une nécessité historique car l’existence de l’esclavage dans l’Est peut compromettre l’indépendance nationale.  De ce fait,  pour se défendre et consolider les acquis de la Révolution Haïtienne il y a obligation de l’étendre sur toute l’Ile. L’étatisme également une exigence du moment. Pour trouver les moyens financiers pour défendre l’indépendance le pouvoir devait adopter un régime économique lui permettant d’avoir un contrôle total de l’économie.

            A l’époque coloniale, Saint Domingue à elle seule donnait à la France les neuf douzièmes de cette prospérité d’outre mer dans le nouveau monde. Mais la production va atteindre son plus bas niveau après la guerre de l’indépendance. Le Dr  Ernst A. Bernadin (Histoire Economique et Sociale de 1804 à nos jours) décrit la situation : « Après l’indépendance, Haïti était en proie à la faillite économique la plus totale. La production était en chute, les ressources financières indispensables au démarrage du pays manquaient. ». Ce qui est évident car pour accéder à l’indépendance, de grands sacrifices ont dû être consentis. « Pas une ville n’ait été incendiée, certaines plusieurs fois. Le matériel des habitations a été détruit. Les canaux d’irrigation sont délaissés. Beaucoup d’animaux ont disparu. » (Jacques Baros). En 1804, l’économie haïtienne était complètement ruinée. Qu’allait faire ses dirigeants ? Qu’allait faire Dessalines pour remédier à la situation ? Quelle politique économique adopter pour relever la prospérité de ce pays ?

            Toute la richesse de Saint Domingue dépendait de deux choses : l’Agriculture et le Commerce. Haïti avait besoin de croissance car à cette époque le nouvel état était dans l’obligation de défendre l’indépendance. Dessalines devait créer cet état fort. Elaborons les différentes mesures instaurées par l’empereur pour atteindre ces objectifs.

            L’agriculture était à son plus bas niveau et Dessalines se voyait dans l’obligation de réformer les bases de sa production. L’une de ses premières actions fut de trouver une solution à la problématique de la terre. Il a fait son choix en nationalisant toutes les terres cultivables. Les terres laissées par les colons sont confisquées par l’Etat. L’article 12(dispositions générales) de la constitution de 1805 déclare : « Toute propriété ayant appartenu à un blanc français, est incontestablement et de droit confisquée au profit de l’Etat Haitien. » et cela même si cette propriété a été vendue et payée en partie. Le nouveau propriétaire devait verser à l’Etat la somme restante sur le contrat de vente. En faisant le choix de la grande propriété étatique, il se mettait en face des aspirations de l’oligarchie noire et mulâtresse et aussi en face des attentes de la masse des anciens esclaves. Etant en possession de ces terres, il prévoyait de réorganiser le travail.

            Sachant que la puissance économique de l’Etat résidait dans l’agriculture, il l’encourageait, l’article 21(dispositions générales) de sa constitution l’énonçait en ces termes : « L’agriculture comme le premier, le plus noble de tous les arts, sera honorée et protégée. ». Il est allé encore plus loin en établissant le caporalisme agraire. Ses mesures limitaient non seulement le déplacement des cultivateurs dans les villes mais aussi les exhortaient sur la forme de culture à adopter. Par le décret du 9 Avril 1805, il veut rétablir le mode d’exploitation de Louverture fondé sur la grande production, sur le contrôle strict du processus de travail impliquant une intense mobilisation des travailleurs. Pour surmonter le paradoxe entre ce projet économique et sa doctrine politique fondé sur un certain égalitarisme, il a tenté de se rattraper dans sa politique de distribution des richesses par quart entre gérant propriétaire, cultivateurs et l’Etat. Décisions qui n’arrivent pas à calmer les différents groupes sociaux. De plus le bâton, les verges, la prison sont remis en vigueur afin de vaincre le raidissement de la main-d’œuvre. Pour certains historiens la politique économique de Dessalines était proche de l’économie plantationnaire qui existait à l’époque coloniale, mais sans esclavage. En plus de sa vision de réforme agraire, il voulait s’ouvrir au commerce.

            Dans cette visée de développement économique, Dessalines encourageait et insistait sur l’importance du commerce. L’article 22(dispositions générales) stipulait : « Le commerce, seconde source de la prospérité de l’Etat ne connait point d’entraves. ». Pour s’assurer que le commerce rapporte un bénéfice à l’Etat, un bon nombre de mesure économique fut prise. Par l’ordonnance du 15 Octobre 1804, il défend aux capitaines de bâtiments étrangers de détailler eux-mêmes leurs cargaisons. Cela lui permettait d’avoir un contrôle du commerce extérieur  car seuls les négociants ayant à leur disposition des patentes pouvaient traiter avec ces commerçants. Malgré ses mesures, des abus survenaient  sur les droits d’importations et d’exportations, d’où la nécessité du décret du 2 Septembre 1806 (art. 1) qui fixe une taxe de 10% sur les produits à l’importation et à l’exportation. Ces dispositions commerciales rigoureuses montrent sa détermination à enlever à la bourgeoisie commerciale toute liberté et faire cesser toutes dérives dans l’administration de la marine.

            Et au final pour s’assurer de la demande de sa production, il exige aux commerçants  étrangers de composer leur cargaison par tiers (1/3 de café 1/3 de coton 1/3 de sucre). Cette disposition lui permettait de contrôler la commercialisation de ses produits et éviter l’achat de l’un au mépris des autres. Cela ne plaisait guère aux commerçants mais il était le seul à la direction du pays. Donc le seul en position de décider. L’article 31 de sa constitution l’évoque ainsi : « L’empereur dirige les recettes et dépenses de l’Etat, surveille la fabrication de monnaies, lui seul en ordonne l’émission, en fixe le poids et le type. ». Il était le chef suprême et il a su agir en tant que tel ce qu’il a payé cher de sa vie.

            Contrairement aux on- dit de certains faisant croire qu’après l’indépendance, Haïti était sans élite inspiratrice, sans cadres sociaux et sans ressources humaines adéquats. Notre analyse nous a permis de voir la situation sous un autre angle. Quoique ce gouvernement n’a pas échappé à la corruption et aux bavures d’un homme accédant au pouvoir suprême. Les actes et lois du gouvernement de Dessalines montrent qu’il était un visionnaire qui a vu son Etat se positionner aux rangs de toutes les puissances politiques et économiques de l’époque. Malheureusement le sort ne nous a pas permis de le voir à l’œuvre, il n’a pas eu le temps de faire cette réforme agraire tant attendue. Le coup du sort a voulu voir comment nous autres Haïtiens allaient bâtir cette nation avec les mains pleines du sang de celui qui avait la capacité de réunir autour de lui tous les indigènes pour lutter pour une même cause et atteindre un même but.

                        Hommage à J. J. Dessalines   Général en Chef de l’Armée

                                                                         Empereur d’Haïti

                                                                         Fondateur de la Patrie

*Les dates peuvent être soumises à des débats     

Commentaires

  1. Merci Karlen de nous faire revivre cette partie de notre histoire avec cette si grande aisance, tu as su nous transporter. On est revenu du voyage avec une fierté de l'accomplissement de ce grand empereur et le plaisir d'avoir lu un prestigieux historien.

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  2. Article la byen frape nan tout sens bru..Kenbe la.


    Kyky

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